Pâtisserie, liqueurs, bougies, hôtellerie, tisanes, textile et même musique : on assiste depuis quelques années à la multiplication d’enseignes dont le nom comporte le mot « Maison » en Martinique et en Guadeloupe. S’agit-il d’un effet de mode, d’une coïncidence ou d’un mouvement de fond ? Comment expliquer ce choix sémantique ? Que dit-il des ambitions des fondateurs ?
Associer sa marque à des valeurs positives
A l’étage du centre commercial Le Rond-Point en Martinique, la vitrine de Maison Filibo donne l’eau à la bouche. Fraisiers à la pistache, brioches feuilletées chocolat, praliné et frangipane, donuts speculoos : ici, le sucre est roi et c’est revendiqué ! Diabétiques s’abstenir ! Maison Filibo fait saliver les plus gourmands depuis 2021. Ambre Choux (ça ne s’invente pas) est la fondatrice de cette pâtisserie où « tout est fait maison, même le feuilletage. Et avec du vrai pur beurre !». Le nom de son entreprise résulte de l’association du mot « Maison » avec une expression locale puisque « Filibo » désigne les confiseries en Martinique. Pour Ambre, la terminologie employée n’est pas un hasard. « Le mot Maison renvoie à l’artisanat et à l’élégance », explique la jeune femme, qui a notamment travaillé à la Grande Épicerie de Paris. « Maison Filibo est un mélange de saveurs d’ici et de savoir-faire d’ailleurs », complète-t-elle.
Ambre n’est pas la seule à avoir fait ce choix sémantique pour son enseigne.
En Guadeloupe, Marc Paturot est artisan-fumeur et fondateur de Maison La Fumée, une entreprise qui produit et commercialise des huiles, des sels, des mélanges épicés et des liqueurs de fruits exotiques au goût fumé. Il a mûri son projet pendant 12 ans avant de le lancer. Au moment de choisir un nom, il retient le mot « Maison ». Pour lui, celui-ci fait référence au prestige, à l’authenticité. « Nous sommes les seuls à proposer des liqueurs de fruits fumés depuis 2020 », rappelle Marc Paturot. La singularité de la marque s’exprime à la fois dans la fabrication des produits, mais aussi dans leurs noms. Ici, les liqueurs s’appellent « Clitoria » ou « Le Regret ».
S’ancrer dans un héritage
Le mot-clé « Maison » peut traduire une autre ambition pour les fondateurs. C’est le cas de Pauline Montauban, propriétaire de Maison Victoire, un boutique-hôtel de 5 chambres dans le cœur historique de Pointe-à-Pitre. Un restaurant et un bar rooftop viennent compléter cette nouvelle adresse, dont l’ouverture est attendue début mars. « Je n’ai pas voulu m’inscrire dans une tendance mais justement me démarquer », commence-t-elle. « Je voulais ancrer ma marque nouvelle dans des valeurs plus anciennes. Les maisons ont un héritage ». Elle est consciente de devoir créer sa propre histoire en s’appuyant sur les ressources d’antan. Le prénom Victoire par exemple, accolé au mot Maison, est inspiré de la grand-mère de Maryse Condé qui cuisinait pour les familles fortunées au début du XXème siècle. Pauline est loquace, elle détaille avec entrain sa vision et son projet global. Elle rêve « d’une collection de « Maisons » avec chacune son identité ». Pour cette passionnée d’architecture et d’histoire, reprendre puis transformer une vieille bâtisse répond à une quête de sens : rendre hommage à l’art de vivre guadeloupéen et contribuer à dynamiser le centre-bourg de la ville. En somme, elle réveille deux belles endormies.
Redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat
Les trois entrepreneurs interrogés ont rappelé leur attachement à la fabrication artisanale. « J’ai une dizaine de produits en attente, mais je n’en suis pas satisfait. Je veux des produits irréprochables en termes de goût et de visuel. C’est ça ma ligne directrice ». Une approche qui semble payer puisque Maison La Fumée a remporté le prix Coup de Cœur de la presse lors du Salon de la Gastronomie D’Outremer (SAGASDOM) 2022. Pauline Montauban de Maison Victoire veut décliner l’univers de la marque dans des collections d’objets et de produits pour la maison. « C’est une tendance mondiale », argumente-t-elle, « face au déferlement de marques low cost, rapides, on assiste en parallèle à un regain d’intérêt pour les valeurs traditionnelles et le savoir-faire de qualité ».
Même son de cloche chez Ambre Choux, la créatrice de Maison Filibo. Pour elle, le mot « Maison » est le marqueur d’une tendance plus profonde : « l’artisanat est enfin traité à sa juste valeur et ceux qui le maitrisent en ont enfin conscience » conclut-elle.
Y a-t-il un risque d’opportunisme lié à l’usage du mot « Maison » par les marques locales ? Peut-être. Deux défis se dessinent : le premier est de s’assurer qu’il y ait cohérence dans leur démarche. Les valeurs de patrimoine, d’authenticité, de prestige citées devront irriguer toutes leurs actions pour ne pas être taxées de storytelling déconnecté. Le second, surtout pour les futurs entrepreneurs, est de parvenir à éviter la lassitude sémantique auprès des consommateurs. De belles aventures en perspective !