Le carnaval est, avec le Tour des Yoles, l’un des événements emblématiques de la Martinique. C’est aussi un terrain de jeu incroyable où les marques locales rivalisent de moyens et de créativité pour être vues, entendues, senties, touchées. Dans quelle mesure cette liesse populaire est-elle un moyen de marketing expérientiel ? Quelles sont les approches privilégiées par les marques ? Le carnaval est-il victime du mercantilisme ? Y a-t-il perte d’identité culturelle au profit d’actions commerciales ? C’est parti pour ma petite analyse !
Certes, il y a les diables rouges, les paillettes et les chants grivois. Cependant, en étant attentif, on observe autre chose pendant les jours gras, surtout à Fort-de-France : un florilège de logos. Les marques sont omniprésentes. Et pour cause, le carnaval de Martinique possède de solides atouts pour les enseignes locales : public multigénérationnel, divertissement, convivialité, popularité, envergure et créativité.
Avant les jours gras : la pression monte doucement
Les opérations de marketing débutent en amont de la période carnavalesque. Elles prennent des formes variées, plus ou moins originales. D’ailleurs, nul besoin de proposer des produits ou services en lien avec le carnaval pour surfer sur l’opportunité ! En effet, contrairement à un concert ou une compétition sportive, le carnaval de Martinique ne repose sur aucun organisateur, institutionnel ou privé, structuré et reconnu, qui fixerait tarifs et conditions de participation. C’est un événement avant tout populaire, les marques sont donc libres de s’en emparer comme elles le souhaitent.
Ainsi, SCosmetics, Yardena Make Up ont diffusé des vidéos inspirationnelles de maquillage. Plus éloignées du sujet (quoique), les peintures Seigneurie ont sobrement souhaité un bon carnaval et une joyeuse Saint-Valentin sur Facebook. Ton plutôt institutionnel chez EDF qui en a profité pour communiquer sur les réductions d’énergie. L’Agence Régionale de Santé a sensibilisé sur la consommation d’alcool et l’importance de se protéger pendant les jours gras. D’autres marques ont opté pour une approche beaucoup plus commerciale avec des offres spéciales et des remises. Prixe Ménager proposait de se préparer pour un « carnaval rafraîchissant » en achetant…une machine à glaçons. Du côté de Pneusgom, les consommateurs étaient invités à « rouler en toute sécurité avec Toyo » en bénéficiant d’une réduction de 5%. Madivial a surfé sur le « starter pack » en mettant en avant leur seau de poulet prêt à cuire et assaisonné.
L’usage de la musique dans les campagnes créatives est à noter. Les équipes du Snack Elizé se sont associées au créateur de contenu Willem. Dans une vidéo diffusée sur Instagram, celui-ci fredonnait un refrain assez entêtant « avant le vidé, c’est Snack Elizé ; après le vidé, c’est Snack Elizé ». 121 000 vues et près de 9 000 likes plus tard, on peut supposer que la campagne a été un succès. DJ Maxs a créé une playlist spéciale carnaval pour Digicel Antilles-Guyane. La vidéo a généré 60 000 vues à ce jour sur Instagram. Free Caraïbe a invité les internautes à créer un hymne carnavalesque pour tenter de remporter des lots.
Pour autant, si les réseaux sociaux, surtout Facebook et Instagram, sont un canal de communication privilégié, ils ne sont pas les seuls. L’opérateur télécom a ainsi misé sur une campagne d’affichage, des jeux-concours, des animations en boutique, des partenariats avec des groupes à pied ou des organisateurs de soirées. Presque deux ans après son lancement, il était important pour Free Caraïbe de rester visible via des campagnes de notoriété. L’enjeu pour la marque est de s’installer progressivement comme un opérateur top of mind auprès des consommateurs et l’activation à 360° permet de multiplier les points de contact.
Quant aux centres commerciaux, ils sont depuis longtemps des lieux propices aux animations et le carnaval ne fait pas exception. Au Rond-Point, le groupe Vakband Péyi a rythmé les allées de ses sonorités, des ateliers de maquillage étaient offerts et les enfants pouvaient venir confectionner des masques.
Au cœur du vidé : de la visibilité aux expériences
Quand les jours gras arrivent, la rue prend le relais.
Dans les cortèges, les marques sont là. Premier média : les groupes à pied. Avec leurs musiciens, leurs costumes et leurs danseurs, ils sont une composante essentielle du carnaval de Martinique. Ceux qui sont constitués en associations peuvent bénéficier du soutien d’entreprises. Le groupe A arborait des t-shirts surmontés du logo d’Eden Phone ou de Long Horn cette année. Plus étonnant, sur leur banderole, on pouvait aussi voir les logos des rhums St-James…et des rhums La Favorite. Pompom C Chann compte une dizaine de partenaires allant de la Banane de Martinique en passant par l’eau de Didier, ABS Communication ou la jeune marque de planteur Idyllik. A chacun son rhum, Vakband Péyi peut, entre autres, compter sur Clément. Cette année, on a vu les filles de Out of the Box poser pour Sosh Caraïbes. En retour, les entreprises obtiennent de la visibilité sur les costumes, les instruments ou les bradjaks. La présence des groupes sur les réseaux sociaux permet d’amplifier la visibilité des marques qui s’y associent.
Autre levier : les chars. Aussi décriés soient-ils, ils drainent des milliers de carnavaliers et constituent des supports de communication puissants. Le ticket d’entrée est assez élevé et sans surprise, les marques locales ne sont pas nombreuses à pouvoir se le permettre.
La formule gagnante combine généralement un plateau de DJ, de la sonorisation, des danseurs, des invités influents, des écrans géants lumineux et des goodies distribués en masse pour une ambiance de folie ! Non seulement les fêtards suivent les chars au nom de telle ou telle marque, mais en plus ils partagent l’information à l’oral, en photo / vidéo, sur les réseaux sociaux. Le nom du char est systématiquement repris dans les médias qui diffusent les parades. La force de frappe est incomparable en matière de répétition !
Le DizzTruck de Digicel et sa filiale Wizzee parcourt les rues depuis quelques années. Bien que Trace FM ait perdu son allié Orange Caraïbes, la marque s’affiche désormais avec McDonalds Antilles-Guyane. Celle-ci n’a d’ailleurs pas lésiné sur les moyens pour s’assurer une présence maximale pendant les festivités. C’est sûrement l’un des dispositifs les plus cohérents et les plus complets vus pendant ce carnaval. En plus du char, on retrouve l’entreprise aux côtés de Vakband Péyi ; sur les réseaux sociaux en sponsor d’une websérie dédiée au décryptage des traditions carnavalesques ; dans les soirées ou à travers des encarts publicitaires.
Enfin, difficile d’évoquer les chars sans mentionner le groupe RCI / NRJ / Bel Radio, incontournable depuis plus de 20 ans dans les parades. Cette année, en accueillant le chanteur Kalash, la directrice générale du groupe a marqué les annales. Elle a créé un événement dans l’événement ! Non seulement Alexandra Élizé a offert une belle surprise collective, pleine d’émotion aux carnavaliers ; mais elle a en plus contribué à amplifier la visibilité des entreprises dont elle a la charge. L’annonce du concert a en effet été diffusée en direct sur Instagram, auprès du 1,5 million de followers de Kalash, et reprise par les autres médias, photos et vidéos à l’appui. Jackpot.
En marge du vidé, les activations ne manquent pas. Orange a opté pour un photobooth à 360°. Et quoi de mieux que de déguster un produit pour l’apprécier ? Le planteur Idyllik a ainsi profité de la parade du sud pour mener une opération de street marketing. Les rhums Maison La Mauny ont lancé Station M, un bar à cocktails éphémères rue Ernest Desproges. Et parce que le carnaval n’est pas réservé qu’aux grands groupes, Ji Kréyol tenait un stand aux couleurs de la marque. Trois marques alimentaires, trois formats.
La nuit tombée, le défilé publicitaire ne s’arrête pas puisque des marques telles que Free ou Corsair sont partenaires des soirées à thème.
Alors, selon vous, le carnaval de Martinique est-il devenu un lieu de matraquage publicitaire ? Son côté informel donne-t-il lieu à un Far West de logos ?
Il ne fait en tout cas aucun doute que cette tradition a transcendé la dimension strictement culturelle pour devenir un levier commercial et publicitaire. Derrière les masques et les plumes, les jours gras permettent une communication de masse dont les marques ne se privent pas.